La science, la cité

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Mot-clé : communication scientifique

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Quand les articles sont rejetés

Comme le soulignait Jean-François Bach (secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, 3'15) lors du colloque consacré à  l'évolution des publications scientifiques, les idées les plus nouvelles, les plus grandes innovations ont plus de mal, ont souvent du mal à  passer la barrière de l'expertise ou revue par les pairs. Et Bach de donner l'exemple de la découverte des hybridomes et des anticorps monoclonaux, dont la publication a été d'abord refusée par Nature avant d'être finalement acceptée, sous forme de lettre alors qu'un article complet avait été soumis…

Les autres exemples ne manquent pas : Fermi, Joule, Avogadro et de nombreux prix Nobel ont parfois eu du mal à  faire paraître leurs travaux les plus novateurs (Juan Miguel Campanario fournit une énumération truffée de témoignages qui va faire chaud au cœur à  blop et Timothée).

Un exemple en forme de clin d'oeil, tiré d'un autre article de Campanario, destiné à  ceux qui avaient apprécié le billet du C@fé des sciences sur l'inactivation du chromosome X :

Mais alors, que faire ? Ne peut-on pas distinguer le cancre (rejeté) du génie (rejeté lui aussi) ? Ce système est-il à  jeter à  la poubelle ?

Cela dépend des raisons pour lesquelles ces articles sont rejetés. Parfois, et même pour un prix Nobel, un article peut-être entaché d'erreurs, imprécis ou pas suffisamment mûr. C'est le lot commun des chercheurs de se faire rejeter des articles, les motifs qui reviennent le plus souvent avec le plus de force touchant à  la théorie décrite, à  la conception du travail de recherche (design) et à  la discussion des résultats obtenus. La question de la théorie arrive en premier, les rapporteurs étant en effet attentifs à  l'apport du manuscrit à  la théorie en cours ou la qualité de la nouvelle théorie proposée. Avec les travers cités plus hauts (une théorie avant-gardiste aura peu de chances de convaincre les gardiens du temple), qui font dire à  certains que la revue par les pairs est plus faite pour réguler la science normale (au sens de Kuhn) que pour permettre les changements de paradigme. Ce que certains chercheurs saluent dans le sens où changer de paradigme tous les quatre matins aurait un coût énorme !

En fait, face à  un rejet, le génie sera peut-être celui qui suit ce conseil d'un chercheur cité par Joseph Hermanowicz :

Vous devez être créatif. Vous devez avoir de bonnes idées et les amener jusqu'au bout. Vous devez sans aucun doute être suffisamment intelligent pour avoir des idées, suffisamment tenace pour pousser sans arrêt, et suffisamment confiant pour savoir que vous êtes sur la bonne voie, et aussi pour vous réorienter quand vous faites une erreur."

Nous faisons tous des erreurs et nous nous faisons tous rejeter des articles mais il y a celui qui croit en ses résultats et celui qui se décourage aussitôt ! Si vous êtes dans le premier cas et souhaitez faire entendre raison à  vos pairs, voici un guide pratique des stratégies les plus fréquemment utilisées d'après un sondage auprès de chercheurs pour qui ça a marché :

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Les publications, frontière de la science ?

Peut-on entrer en science sans visa ? se demandait récemment le groupe de réflexion TRACES à  l'Ecole normale supérieure. Questions qui ne trouvât pas de réponse définitive ce soir-là  et sur laquelle j'aimerais me pencher à  la lumière d'une petite expérience personnelle.

Récemment, Béné et moi avons monté un atelier pour le festival Paris-Montagne, montrant à  un jeune public la science en train de se faire, par le biais de l'écrit scientifique (de la demande de financement à  l'article scientifique en passant par le brevet et le cahier de laboratoire). L'atelier s'est suffisamment bien passé, a suffisamment été bien reçu par les professionnels (nous l'avons refait à  leur demande dans une bibliothèque municipale de la région parisienne) et nous a paru suffisamment digne d'intérêt pour que nous souhaitions en laisser une trace, à  destination des professionnels. Dans notre naïveté, nous avons cru qu'un article soumis à  une revue français de didactique des sciences, dans une rubrique spécialement conçue pour donner la parole aux acteurs du terrain, passerait comme une lettre à  la poste. Mais nous ne connaissions pas suffisamment les auteurs clés du domaine (malgré un travail préalable de bibliographie, quand même !), nous ne nous rattachions pas suffisamment à  un courant de pensée et nous n'explicitions pas assez les présupposés cognitifs de notre petit atelier : article rejeté par les rapporteurs (trois rapporteurs, un très favorable, un très défavorable, un nuancé). Certes nous avons nos chances si l'article est retravaillé et resoumis, mais ça n'ira pas sans des heures de travail pour bétonner l'article au niveau théorique, quand celui-ci se voulait une proposition d'ordre pratique.

Voilà  pour moi où se situe la barrière à  l'entrée en science. Je savais, pour avoir déjà  publié, qu'un article n'est pas un long fleuve tranquille. Mais soumettant pour la première fois un article dans une discipline où je ne suis que débutant, j'ai réalisé le coût nécessaire pour mener cette opération à  bien. Et je ne parle pas ici des critères habituels de scientificité (rigueur, réplicabilité...), la barrière se situant encore au-delà . Elle se manifeste également pour les chercheurs du sérail qui se livrent à  des travaux un peu originaux ou interdisciplinaires. Dans notre cas, nous empruntions aussi bien à  la sociologie qu'à  la didactique ou l'histoire. Eh bien, en fonction du profil du rapporteur, tel aspect était systématiquement ignoré tandis que tel autre était jugé comme pas suffisamment approfondi. Forcément... nous avions aussi une limite de caractères à  respecter !

Certes on peut publier ce que l'on veut sur arXiv (mais en anglais uniquement, et à  condition de se trouver un parrain). Certes on peut publier ce que l'on veut sur HAL (à  condition d'être rattaché à  un laboratoire français). Certes on peut publier ce que l'on veut sur son blog. Mais pour publier dans une revue avec comité de lecture, rien à  faire, il faut se glisser dans le moule. Les chercheurs ne s'en rendent plus compte, eux qui ont intériorisé les contraintes de leur communauté (de leur champ, dirait Bourdieu). Mais c'est flagrant pour un marginal façon Nottale ou un dilettante comme moi. Alors non, on ne peut entrer en science sans visa et ce visa, c'est l'ensemble des codes tacites (quels auteurs citer, dans quel courant s'inscrire...) qui font que l'on est reconnu comme un pair ou non. Après, on ne s'étonnera pas que les scientifiques amateurs ont leur propre revue et que le fossé persiste...

P.S Depuis l'écriture de ce billet, notre papier a été accepté dans sa seconde version. On pourra trouver qu'elle est "mieux", elle dit en tous cas beaucoup plus de choses que la première fois, en dépassant largement les contraintes de longueur qui figuraient dans les instructions aux auteurs. Evidemment, cet heureux dénouement n'enlève rien à  la réflexion ci-dessus...

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JoVE et les vidéos de protocoles expérimentaux sur Internet : quel intérêt ?

Depuis quelques mois maintenant, les plateformes de vidéo scientifiques naissent comme des petits pains ! Mais certaines se démarquent parce qu'elles proposent non pas des vidéos de vulgarisation, ou des vidéos d'expériences et leurs résultats, mais des protocoles filmés. La vidéo devient alors un véritable outil de travail et d'apprentissage pour le chercheur.

Parmi ceux-là , JoVE est incontestablement le plus proche du modèle traditionnel de la publication scientifique : évaluation des soumissions avant acceptation, publication régulière et groupée des vidéos (issues), affectation d'un numéro DOI et d'un numéro de volume pour permettre la pérennité des liens et des citations etc. Lui-même se décrit comme an online research journal employing visualization to increase reproducibility and transparency in biological sciences. Lab Action, qui est arrivé après, fait beaucoup moins dans le détail ! Mais est-ce que ces sites sont utiles et après tout, est-ce que l'on a besoin d'avoir des vidéos de protocoles expérimentaux ?

Matias Pasquali, un chercheur en phytopathologie récipiendaire de la bourse Branco Weiss "Society in Science", pense que oui. Il l'explique dans un article récent de EMBO Reports. D'abord, parce que dès l'apparition de la vidéo et du cinéma, les chercheurs s'en sont emparés pour "augmenter" le sens qui leur est le plus utile : la vue. Etienne-Jules Marey et d'autres s'en sont faits un nom. Ensuite, parce que cette pratique se généralise, la vidéo est maintenant un outil commun au labo ou ailleurs : en congrès, en plus des vidéos qui viennent illustrer les conférences, on voit maintenant des chercheurs agrémenter leur poster d’un iPod vidéo ! Au-delà  de l'accessoire, ces avancées permettent aujourd'hui à  plusieurs chercheurs de collaborer à  distance pour un diagnostic ou à  des scientifiques isolés d'apprendre des techniques en live. Mais quel intérêt pour les protocoles en particulier ?

Eh bien, ceux-ci sont souvent difficiles à  communiquer : limite mensongers quand ils sont donnés dans un article, pas assez orientés pratique quand ils sont décrits dans des revues spécialisées, coûteux quand ils nécessitent de visiter un laboratoire. Ainsi, rien ne vaut une bonne vieille vidéo qui permet de voir exactement comment positionner sa boîte de Petri, à  quelle vitesse injecter ou quelle couleur tel mélange doit avoir ! La fameuse revue Wired ne dit pas autre chose

L'auteur va même jusqu'à  suggérer que les protocoles filmés soient systématiquement intégrés à  un article : ainsi, on détecterait plus facilement des fraudes ! Je reste sceptique sur ce point, car je doute de l'intérêt de vidéos pouvant durer plusieurs heures, je doute de l'effet réel sur la détection des fraudes et je doute de la capacité de tous les labos du monde à  se plier à  l'exercice (même équipés d'un "casque-caméra"). Malgré tout, si JoVE et les autres pouvaient avoir du succès, ce serait à  mon avis une excellente nouvelle pour la science ! Ainsi que pour la société si, comme je l'avançais déjà , cela pouvait changer l'image mythique du chercheur pour la remplacer par celle du travailleur inlassable de la preuve. Preuve en est cette vidéo qui montre un chercheur souriant après avoir réussi son expérience, avec ce sous-titre : expression of happiness when experiment works ! Au-delà , bien sûr, de l'impact éducatif éventuel sur le public...

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Chacun à  sa place

L'ordre des auteurs qui signent un article scientifique, ou même la décision de qui doit apparaître comme auteur, est un enjeu loin d'être anodin : il en va de l'éthique du chercheur (tous les signataires sont censés endosser la responsabilité de l'article), de la garantie contre la fraude (dans l'affaire Hwang, un co-auteur n'était qu'un faire-valoir ; dans certains domaines en vue, les prête-noms sont communs) ou simplement du pragmatisme le plus déconcertant (quand on est dix à  avoir travaillé sur un sujet, comment savoir qui mettre en premier, puis en deuxième, en troisième etc. ?). Le sujet ressortait la semaine dernière dans la revue Nature, sous la plume de deux lecteurs.

Le premier contestait une proposition de ce même journal de faire signer à  l'auteur principal, pour chaque article, une déclaration qui engage sa responsabilité et celle des co-auteurs dont il certifie qu'ils ont relu l'article et sont en accord avec lui. Ce qui n'est pas nécessaire si la signature de l'article lui-même est suffisamment réfléchie et qu'elle est par exemple accompagnée d'une note sur la contribution exacte de chaque auteur. Cette pratique de plus en plus courante, adoptée par les plus grandes revues, permet en effet de trier entre les auteurs de prestige et ceux qui ont réellement travaillé.

Décrire la contribution de chacun n'est pas toujours aisée. Mais la quantifier et la pondérer au vu du résultat final l'est encore moins ! C'est pourtant ce que proposaient Christine Beveridge et Suzanne Morris : dans leur labo, l'ordre des auteurs se détermine désormais en fonction du poids attribué à  la contribution de chacun (deux graphiques pour Dr. X, un chapitre pour le thésard Y, la relecture pour le Pr. Z). Je me suis laissé dire qu'il n'y a rien de plus difficile que de mettre en regard l'écriture d'un chapitre avec un travail de manip aboutissant à  une figure, une idée originale ou l'apport d'un financement. Par contre, il peut être bénéfique de confier chaque article à  un chercheur, qui va distribuer les tâches puis les bons ou mauvais points. Un principe de gouvernance efficace, en quelque sorte. C'est en tous cas l'avis d'Umesh Chandra Lavania (qui est "végétaliste" comme le sont Beveridge et Morris, est-ce un hasard ?), qui surenchérissait ainsi dans Nature.

Voilà  donc où les chercheurs en sont de leurs réflexions, je ne sais pas ce que vous en pensez…

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Recherche en direct (1)

Un séminaire de recherche à  l'université Louis-Pasteur, Strasbourg :

  • un chercheur > Dans cet article, Nancy Tomes n'annonce son plan qu'à  la toute fin de son introduction. Introduction qui fait 7 pages…
  • une chercheuse > …et qui est si riche en références bibliographiques qu'on croirait qu'elle a voulu justifier la parution de son article [sur la consommation des biens de santé entre 1900 et 1940] dans une revue d'histoire générale [au lieu d'une revue d'histoire de la médecine].
  • le premier chercheur > Ou ce sont les rapporteurs qui ont insisté pour qu'elle se livre à  ce travail historiographique…

Un peu plus tard :

  • moi > A propos du fait que l'article soit très programmatique mais peu étayé par des études de cas précis, j'ai été marqué par l'épisode de l'étude sur la syphilis de Tuskegee (p. 542). Une affaire que je ne connaissais pas et dont j'aimerais savoir plus mais c'est un très mauvais exemple dans ce contexte, quand Tomes veut montrer la manière dont les noirs ont été exclus de la consommation ordinaire de biens de santé !
  • le professeur > En effet. Aujourd'hui, on ne peut plus faire ce genre de recherches aux Etats-Unis sans consacrer un passage aux questions ethniques. J'ai l'impression qu'elle l'a fait ici pour anticiper les réactions des rapporteurs, mais sans rapport finalement avec le fond de son article.

On savait déjà  que les commentaires des rapporteurs après soumission d'un article scientifique conduisent parfois à  des concessions illogiques ou antagonistes. On savait aussi que l'auteur d'un article a tendance à  intégrer les contraintes de sa communauté pour que son article soit accepté puis lu. En voici un (bel) exemple ici. Difficile après cela de juger de la qualité "intrinsèque" d'un article (ou en tous cas de ce qu'un chercheur a voulu vraiment dire) indépendamment de son contexte de publication…

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